Voyager depuis une tasse : les thés de Komaen (Laos) reconnus par une « Indication Géographique » et primés par l’AVPA

Voyager depuis une tasse : les thés de Komaen (Laos) reconnus par une « Indication Géographique » et primés par l’AVPA
05/07/2024 MCT
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Sur la carte mondiale du thé, un terroir du Laos s’est doublement distingué en 2023. Lors de son concours annuel « Les Thés du monde », l’Agence pour la Valorisation des Produits Agricoles (AVPA) a décerné en 2023 quatre médailles à la Komaen Tea Promotion Association, avant d’organiser une rencontre avec les producteurs en juin 2024. Cette reconnaissance de l’AVPA met en lumière une démarche de valorisation du terroir, initiée dans le cadre de différents projets de développement.

 

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© AVPA

Les thés de Komaen reconnus par une Indication Géographique

Le village de Komaen, situé dans la province de Phongsaly, au nord du Laos, est réputé pour ses jardins de thés. Les plus anciens théiers dateraient de plus de 400 ans. Un groupement de producteurs, réunis au sein de la Komaen Tea Promotion Association, a vu ses thés reconnus en 2023 dans le cadre d’une démarche Indication Géographique (ou « IG ») soutenue par l’Agence française de développement (AFD). A l’image d’un label ou d’une certification durable, les IG peuvent, au niveau local, servir d’outil de développement pour favoriser les objectifs des politiques publiques sur les plans environnemental, social et économique.

En Asie du sud-est et en Afrique notamment, l’AFD confie depuis 15 ans l’évaluation et l’accompagnement de projets agricoles à une ONG, le GRET (Groupe de recherche et d’échanges technologiques de Paris). Pour les thés de la Komaen Tea Promotion Association, le GRET a réuni un consortium d’experts (ARTE-FACT Development and Agri-Food Consulting, Redd, Certipaq, IRAM et CIRAD) et de partenaires (Anna-Maria Lampe, Carine Baudry), qui ont aidé à mettre en place entre 2021 et 2023 une filière de thé répondant aux critères de l’IG et oeuvrent pour favoriser leur commercialisation vers de nouveaux marchés.

Delphine Ayerbe, du GRET, et Jean-Marie Brun, coordinateur de projet régional chez ARTE-FACT Development & Agri-food Consulting, reviennent sur ce projet conduit entre 2021 et 2023. Entretien croisé.

TeaVoyages.com : Dans quel contexte a démarré la démarche Indication géographique pour les thés de Komaen à Phongsaly ?

Delphine Ayerbe (GRET) : il existait déjà dans le sud-est asiatique et au Laos plusieurs programmes d’accompagnement et de développement. Le projet sur les thés de Komaen est né des liens préexistants entre les équipes du projet et les représentants des producteurs.

Jean-Marie Brun (Coordinateur de projet régional chez ARTE-FACT) : en 2020, nous ne travaillions au Laos que sur une IG portant sur le riz. Le thé s’est ajouté au programme en 2021. Notre appui à ce projet succède à un accompagnement préalable de la Banque Asiatique de Développement. L’IG sur les thés de Komaen était déjà enregistrée auprès du département de la propriété intellectuelle du Laos. Mais les acteurs économiques locaux ne connaissaient pas cet outil de propriété intellectuelle, relativement récent dans la région. Aussi, même si l’IG était enregistrée, les acteurs de la filière ne savaient pas encore bien comment gérer l’indication et l’utiliser.

 

L'Indication Géographique en quelques mots

L’Indication Géographique (ou « IG ») identifie de manière officielle des produits ayant une origine géographique particulière et possédant des qualités ou une renommée dues à ce lieu d’origine.

C’est par exemple le cas du thé de Darjeeling, du poivre de Kampot ou du Champagne (et bien d’autres).

Sa portée s’inscrit dans une logique plus globale de développement durable.

En quoi a consisté la démarche Indication Géographique sur les thés Komaen de Phongsaly ?

D. A. (GRET). Le projet a permis de structurer toutes les étapes de la démarche IG et de répondre à ses critères. Les producteurs ont amélioré avec le soutien des équipes du consortium le premier cahier des charges, qui définit les critères de ces thés ainsi que tous les process. Ce nouveau cahier des charges a été reconnu par le département de la propriété intellectuelle au Laos en 2023. Une reconnaissance est envisagée au niveau européen.

L’intervention de nos équipes a également permis de structurer l’association constituée autour de l’Indication Géographique, la Komaen Tea Promotion Association, et à la faire vivre. La formalisation des process dans les usines de thé a été soutenue notamment par des experts comme Carine Baudry. D’autres spécialistes ont été mis à leur disposition sur les activités liées à la qualité, la traçabilité, et bien sûr, l’élaboration du cahier des charges visant à protéger ces produits et leurs spécificités dans le cadre de l’IG.

 

J-M. B. Cette démarche a renforcé les capacités de l’association avec la formation d’inspecteurs locaux, la réalisation de fiches d’inspection, de traçabilité, de contrôles des jardins de thé et des usines de thé. Le cahier des charges a été repris dans son intégralité afin de n’y inclure que ce qui est déterminant pour distinguer la qualité des thés et les éléments véritablement vérifiables.

 

Au moment où nous échangeons, quelles sont les priorités immédiates ?

J-M. B. Il reste à consolider quelques aspects liés au contrôle, des questions pratiques de gestion comme le coût des inspections, la mise en place de règles internes sur notamment le versement d’une contribution financière au prorata des ventes afin d’assurer la viabilité économique de l’association.

Pour l’inspection, ce qui a été mis en place sont des auto-contrôles qualité, documentés par chacun des acteurs ; puis un contrôle interne par l’association, à savoir les salariés, les producteurs, en inspection croisée. L’étape suivante sera l’audit du contrôle par un organisme certificateur indépendant.

 

D. A. (GRET). A présent que l’association est structurée, que sont formalisées les spécificités du terroir à travers le cahier des charges, et qu’un dispositif de contrôle est en place, nous démarrons une nouvelle phase, celle de la valorisation des produits IG et leur commercialisation.

A ce stade, nous accompagnons les producteurs dans le démarchage, les aidons à faire goûter leurs produits, toujours dans l’optique de mettre en valeur, défendre et soutenir leurs spécificités : petite paysannerie, agroécologie, pas de monoculture intensive, préservation des typicités des thés de Komaen. Un important travail en amont a été réalisé pour harmoniser les process et le cahier des charges afin que ces thés soient reconnaissables quand on les goûte.

 

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A ce stade, quels résultats considérez-vous atteints ?

D. A. (GRET). En terme environnemental, l’IG contribue au maintien d’un mode de culture extensif où le thé cohabite avec d’autres espèces végétales. Sur le plan social, l’IG apporte aux producteurs une reconnaissance sociale et valorise les métiers agricoles auprès des jeunes générations. Quand les produits sont mieux vendus, cela valorise aussi le métier de producteur. Ces projets sont aussi très sensibles à l’intégration des femmes et mettent en avant leur rôle effectif dans tous les aspects de la gestion. On sait que la commercialisation permettra d’accroître les revenus.

J-M. B. A Komaen, une tendance assez marquée concerne les investissements destinés à la plantation de variétés importées de Chine. Ces modèles sont assez intensifs et les impacts sur la dégradation des sols peuvent être assez sérieux. Sur le plan environnemental, l’IG est un outil pour proposer quelque chose de différent, qui soit économiquement viable et même attractif.

Sur le volet social, Komaen compte principalement des petits producteurs qui ne sont pas dans une position leur permettant de fixer les conditions d’un prix plancher. Le fait d’avoir une IG, de développer sa notoriété et le respect du cahier des charges modifie un peu le rapport de force entre les producteurs et les acheteurs. Si on prend l’exemple du poivre de Kampot, les producteurs IG sont en capacité de le vendre environ cinq fois plus cher qu’un producteur classique.

 

A présent que le programme est terminé, quelle sera la suite ?

D. A. (GRET). La suite consiste effectivement à valoriser ces produits au niveau européen, à établir un lien humain avec les différents acteurs, à identifier les bons segments de marché pour ancrer leur commercialisation dans la durée. Mais le marché local peut aussi se valoriser. Nous incitons les membres de l’association à identifier les acteurs du secteur touristique et hôtelier qui pourraient être sensibles à une reconnaissance IG. Du côté des marchés sous-régionaux, faire reconnaître leurs produits les fera émerger du lot pour qu’ils ne soient pas mélangés à d’autres produits et qu’ils puissent en retirer une valeur ajoutée.

J-M. B. Pour l’association de promotion des thés de Komaen, la feuille de route à 4 – 5 ans consiste maintenant à progressivement augmenter les volumes car il existe la capacité de fournir au moins jusqu’à 60 tonnes par an. C’est important car gérer l’Indication Géographique (et notamment le contrôle et la certification) a un coût et que des économies d’échelle sont indispensables. Actuellement, les acteurs chinois s’approvisionnent à Phongsaly à un prix assez élevé et achètent une grande partie du thé produite durant la saison sèche. Cette production part en Chine où elle est usinée, transformée et vendue comme du thé chinois. Aujourd’hui, seule une petite partie du thé Komaen part du village et est commercialisée comme telle. Tout le potentiel est là.

Interview réalisée en juin 2024 par Marie-Claire Thao | Photos : Jean-Marie Brun (ARTE-FACT) / ©AFD, ©AVPA