Napoléon Bonaparte : deux impératrices, deux services à thé

Napoléon Bonaparte : deux impératrices, deux services à thé
21/06/2021 MCT
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Moments de thé dans la vie de Napoléon Bonaparte

Où puiser un peu de réconfort au plus fort d’une bataille ? Peut-être dans une tasse de thé à en juger le samovar saisi par les troupes britanniques dans la tente de Napoléon Bonaparte (15 août 1769 – 5 mai 1821) suite à sa défaite à Waterloo en juin 1815 (1).

Il est commun de considérer que Napoléon préférait le café au thé. Pourtant, le thé n’est absent ni de son quotidien, ni du style Empire qui immortalise son mythe. Le Premier empereur des Français aurait coutume dès « son lever de prendre une tasse de thé ou une infusion de fleur d’oranger » (2).

Le raffinement des services à thé destinés à Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814), puis à Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine (1791 – 1847) témoigne du rayonnement des arts décoratifs français sous le Premier Empire. Enfin, dans l’exil à Sainte-Hélène, son cabaret égyptien vaudra à l’Empereur défait l’amitié de la jeune Betsy Balcombe.

Le bicentenaire de la disparition de Napoléon 1e offre l’occasion de redécouvrir ces deux services à thé, ainsi que l’esthétique qui les a inspirés.

 

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Samovar saisi par les troupes britanniques dans la tente de Napoléon suite à sa défaite de Waterloo © National Army Museum, London

De Joséphine à Marie-Louise

Selon les historiens, l’émergence et le déclin du style Empire suivent à la trace l’expansion napoléonienne, ponctuée de batailles militaires et d’alliances stratégiques. L’union avec Joséphine en 1796, qui lui donne accès à la haute société, s’insère entre la répression des royalistes (1795), les campagnes d’Italie (1796-1797) et d’Egypte (1798-1801). Trois semaines après son mariage, il part pour l’Italie. Un long courrier en date du 10 Germinal (30 mars 1796) inspirera ceux qui associent volontiers le thé aux forces de la passion.

Nice, le 10 germinal

Je n’ai pas passé un jour sans t’aimer ; je n’ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras ; je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie. […]

Lettres à Joséphine

Un peu moins de quinze ans plus tard, faute d’héritier et en recherche d’une nouvelle alliance avec une monarchie européenne, il épouse en 1810 Marie-Louise d’Autriche qui lui donnera la descendance attendue l’année suivante.

 

Deux Impératrices, deux services à thé

Un peu plus d’une année sépare la fin de l’union avec Joséphine, entérinée par un divorce en décembre 1809, et le mariage avec Marie-Louise en avril 1810. Dans cet intervalle émergent notamment deux services à thé de factures distinctes destinés à chacune des Impératrices.

Pour le nouvel an 1809, Joséphine reçoit un « cabaret égyptien » de la Manufacture de Sèvres, aujourd’hui conservé au musée du Château de Malmaison.

En 1810, Marie-Louise se voit offrir un service à thé en vermeil réalisé par les ateliers de l’orfèvre Guillaume-Martin Biennais (1764 – 1843), que l’on peut admirer au Musée du Louvre. Quelques pièces de ce cadeau de mariage se trouvent au Musée Royal d’Ecosse à Edimbourg.

Tous deux répondent aux canons du style Empire, reflet de la grandeur napoléonienne.

 

Le vocabulaire du style Empire

Le vocabulaire néoclassique du style Empire, créé par Pierre Fontaine (1862-1853) et Charles Percier (1764-1838), puise dans l’antique gréco-romain et égyptien. Aux côtés de Napoléon dès 1799, les deux architectes et décorateurs sont nommés architectes officiels du gouvernement le 18 janvier 1801. Ecrit à quatre mains, leur Recueil des Décorations Intérieures (1812) expose leur conception d’un style qui s’impose dans les cours d’Europe.

Urnes, amphores, sirènes, griffons, allégories prolongent l’engouement pour l’Antiquité suite à la découverte du site de Herculanum en 1709, aux fouilles sur place à partir de 1738, à celles de Pompéi dès 1748… et les campagnes italiennes de Napoléon. Ils côtoient d’autres motifs repérés lors de la campagne d’Egypte : tête de lions, lions ailés, cariatides, cygnes et cols de cygnes, sphinges, scarabées…

Le cabaret égyptien de Joséphine

 

La campagne d’Egypte (1796 – 1799)

En 1796, Napoléon s’embarque pour la campagne d’Egypte accompagné d’une Commission des sciences et des arts, formée de 167 savants et ingénieurs chargés de réaliser une étude encyclopédique sur le pays.

En dépit de la capitulation finale, les retombées scientifiques de l’expédition inaugurent en France la vogue de l’Egypte, dont les observations de Vivant Denon (1747 – 1825) constituent une pièce essentielle.

Le Voyage dans la Basse et la Haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte (1802) et La Description de l’Egypte (1809) sont riches de gravures, dessins, croquis, plans, reproductions de pyramides, détails architecturaux, scènes pittoresques, hiéroglyphes, etc.

Les illustrations de ces recueils, couplées à des motifs en partie imaginés et apposés sur des formes étrusques revisitées, inspirent sept « cabarets égyptiens » réalisés par la Manufacture de Sèvres à partir de 1808 (3). Certains seront offerts en guise de cadeau diplomatique à des monarchies européennes.

 

Le cabaret égyptien de Joséphine au Château de Malmaison (1809)

Joséphine reçoit le deuxième d’entre eux suite à une commande qu’elle passe en 1808. Conservé au musée du Château de Malmaison, il se compose de douze tasses dites « étrusques » avec leurs soucoupes, d’un sucrier, d’une amphore destinée au sucre en poudre, d’une théière, d’un bol à punch, d’un pot à crème et d’un pot à lait.

 

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Cabaret égyptien de Joséphine (1809) © Musée du Château de Malmaison

 

Les planches de Vivant Denon inspirent le peintre Nicolas Antoine qui exécute paysages et décor sur « fond bleu ».

L’ornementation complémentaire, réalisée par Micaud fils, se compose de hiéroglyphes issus de textes originaux retranscrits par la Commission des sciences et des arts de l’armée d’Orient ; d’autres sont simplement inventés à des fins purement décoratives.

 

Le service à thé de Marie-Louise d’Autriche

 

L’orfèvrerie du style Empire (4)

La bataille de Wagram remportée par les troupes napoléoniennes en juillet 1809 précède l’union avec Marie-Louise d’Autriche, petite-nièce de Marie-Antoinette, en avril 1810. Un service à thé en vermeil livré par Biennais compte parmi les présents offerts à la nouvelle impératrice. Il vise à remplacer celui réalisé en 1801, conservé par Joséphine.

Guillaume-Martin Biennais, l'orfèvre de Napoléon 1er

Guillaume-Martin Biennais, l’orfèvre de Napoléon 1er

La relation entre l’orfèvre Biennais et Napoléon remonte à la période du Consulat (1799 – 1804). Alors que le Premier Consul se prépare pour sa campagne d’Italie (1799-1800), Biennais gagne ses faveurs suite à la vente à crédit d’un nécessaire de voyage. Il devient ensuite son fournisseur aux Tuileries et à Saint-Cloud, puis son orfèvre exclusif. En 1802, Biennais obtient l’exclusivité des fournitures de la table.

Au fil des années et de la diversification de ses activités, l’ancien tabletier, devenu ébéniste puis orfèvre, a l’idée de sous-traiter la réalisation de certaines commandes auprès d’artisans et d’architectes, parmi lesquels Pierre Fontaine (1862-1853) et Charles Percier (1764-1838). Aux côtés de Napoléon dès 1799, ils sont tous deux nommés architectes officiels du gouvernement le 18 janvier 1801. Les deux architectes néoclassiques et décorateurs créent le style Empire. Ainsi, quand Biennais reçoit la commande d’un service à thé, la réalisation des modèles leur revient.

En savoir plus

Dion-Tenebaum, Anne. (2005). Martin Guillaume Biennais : une carrière exceptionnelle. Annales historiques de la Révolution française.

Le service à thé de Marie-Louise

La partie du service à thé conservé au musée du Louvre comporte une fontaine à thé, deux théières et leur panier à thé, un oeuf à thé, une boîte à thé, un pot à crème, deux beurriers et leurs truelles, une cafetière, un flacon en cristal bouché en vermeil.

L’influence antique transparaît à travers les formes étrusques des théières et sur les décors. Palmettes, fleurons, feuilles d’acanthe et de laurier, cygnes et têtes de dauphins font partie des motifs de l’esthétique Empire. Victoires ailées et enfants ailés ornent les anses. Des bas-reliefs grecs sont évoqués dans la composition des frises.

 

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Service à thé de Napoléon Bonaparte et Marie-Louise d’Autriche © Musée du Louvre

 

La boîte à thé est ornée d’un motif de bas-relief inspiré des Noces Aldobrandines, peinture murale romaine découverte en 1601 représentant une scène nuptiale.

 

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Boîte à thé octogonale du service à thé de Napoléon Ier et de Marie-Louise, © Musée du Louvre

 

Sur la panse de la fontaine à thé sont, d’un côté, Neptune chevauchant une chimère et, de l’autre, Amphitrite sur un cheval marin. Les deux robinets de l’objet épousent la forme de dauphins et le culot est parsemé de roseaux.

 

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Fontaine à thé du service de Napoléon Ier et de Marie-Louise © Musée du Louvre

 

Au Royal Scottish Museum d’Edimbourg

Mai 1830 : la Maison du Roi, sous le règne de Louis-Philippe (1773 -1850), reçoit une offre de 17 000 francs pour l’acquisition du service par, semble t-il, des émissaires d’Alexandre, dixième duc de Hamilton (1767 – 1852). Admirateur de Napoléon, le Duc détient déjà un nécessaire de voyage ayant appartenu à Pauline Borghèse (1780 – 1825). Ses descendants conservent l’ensemble jusqu’en 1919.

Une partie du service est ensuite vendue par Christie’s, puis parvient aux mains de l’orfèvre et collectionneur Louis-Victor Puiforcat (1867 – 1955). En 1951, il entre au musée grâce à un don de la Société des Amis du Louvre. L’autre partie réapparaît en 1976 dans une vente. Le Royal Scottish Museum d’Edimbourg en fait l’acquisition.

 

Napoléon à Sainte-Hélène et le regard de Betsy Balcombe

 

Les deux cabarets égyptiens réalisés par la Manufacture de Sèvres à la suite de celui de 1810 se destinent à Joséphine, puis à Napoléon lui-même pour servir au Palais des Tuileries. Certaines des 36 pièces du cabaret de l’Empereur, également exposées au Musée du Louvre, le suivent à Sainte-Hélène.

A son arrivée en octobre 1815, il est tout d’abord accueilli dans une propriété de l’administrateur William Balcombe (1777-1829) avant d’être installé en décembre à Longwood House, sa résidence définitive.

Attaché à préserver statut et étiquette, il reproduit la tradition des étrennes qui lui était chère aux Tuileries. Ainsi, en janvier 1816, il offre deux tasses de son cabaret égyptien à Jane et Betsy Balcombe, filles de l’administrateur, en remerciement de leur hospitalité durant les premiers jours de son exil.

Le regard de Betsy Balcombe

Le regard que porte Betsy (5), la cadette, sur la porcelaine que renferment les malles de Napoléon est sans doute révélateur de l’admiration ingénue et du caractère parfois décontenançant que suscite chez certains le style Empire :

« One, I remember, made a great impression on me; it was a drawing of Napoleon on the bridge of Arcola – a slim youth, standing almost alone, with none near but the dead and dying who had fallen around him, was cheering on his more distant comrades to the assault. The emperor seemed pleased at my admiring it… […]

The battle of Leipsic was one of the subjects depicted on the china. Napoleon’s figure was happily done, and an admirable likeness; but one feels rather surprised at the selection of such a subject for a complimentary present. »

 

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Cabaret égyptien de Napoléon 1er © Musée du Louvre

 

Le style Empire inspire néanmoins les cours de Bavière, de Hollande, d’Italie, de Suède, et d’ailleurs ; une réussite pour celui qui entrevit dans les arts un moyen de faire rayonner son identité impériale.

Si son influence perdure jusqu’à l’époque actuelle, telle la Pièce Bleue (Blue Room) de la Maison-Blanche, cela provient du ‘raffinement des lignes et des matières [qui] impose une homogénéité des pièces [et] qui fera la force de ce style jusqu’à l’Art Déco’ (6) selon Marielle Brie, historienne de l’art.

« En puisant dans une architecture antique aux lignes droites, presque sévères, la sobriété du style Empire contraste avec les styles Louis XVI, Transition et Louis XV. Si le nombre de motifs est considérablement réduit, ceux choisis se distinguent par leur sobriété. Cependant, derrière leur apparente simplicité, la richesse des détails techniques montre à quel point ils sont travaillés de manière fine, notamment dans le mobilier ».

Dans les arts de la table, l’adoption du service à la russe dans certains milieux, pendant le premier quart du 19e siècle, explique l’intérêt particulier que l’on prête à la vaisselle de table. « La présentation séquentielle des mets donne alors libre cours à l’appréciation de la cristallerie, des services à thé ou à café », souligne Marielle Brie.

 

De Longwood House au musée du Louvre

Napoléon emporte donc sur l’île cinquante malles de mobiliers et effets personnels qui décoreront Longwood House. Achille Archambault (1792 – 1858), piqueur de la maison impériale depuis 1805 et valet fidèle jusque dans l’exil, est aux côtés de l’Empereur captif lorsqu’il s’éteint le 5 mai 1821.

Près de 193 ans plus tard, en 2014, une vente aux enchères des effets de Napoléon à Sainte-Hélène, rapportés par le serviteur dévoué et conservés par l’une de ses descendantes, est annoncée puis annulée, par crainte d’une acquisition qui les ferait quitter le territoire français. Reflet de la fascination que ne cesse d’exercer le « grand homme » depuis plus de deux siècles, le 5 mai 2021, la salle des ventes londonienne de Bonhams annonce la mise aux enchères d’une tunique, d’une canne, d’un carottier et d’autres articles dont disposait Napoléon à Longwood House.

Pour leur part, les pièces du cabaret égyptien impérial ont fini par retrouver nos frontières. Donation en 1998 d’une richissime mécène, veuve d’un homme d’affaires et marchand d’armes saoudien d’origine damascène établi en France ; achats en vente publique à Paris (1949), Amsterdam (1999) et Fontainebleau (2004)… Ainsi s’achève leur longue traversée de Sainte-Hélène jusqu’au musée du Louvre.

 

Visiter

Au musée du Château de Malmaison, le cabaret égyptien de Joséphine. Site web du musée du Château de Malmaison

 

Au musée du Louvre. Accéder au site web du Louvre

Le service à thé de Napoléon Ier et de Marie-Louise : lire la notice descriptive. Emplacement : Richelieu, [OArt] Salle 555 – Biennais, Vitrine 1.

Cabaret égyptien de Napoléon : lire la notice descriptive. Emplacement : Richelieu, [OArt] Salle 555 – Biennais, Vitrine 3

 

Au musée royal d’Ecosse (Edimbourg) : accéder au site du musée national d’Ecosse

Le deuxième coffret du service de Napoléon et Marie-Louise (1810) : lire la notice descriptive. Emplacement : Niveau 5, Art of Living, National Museum of Scotland

 

Notes

(1) National Army Museum. The Emperor’s samovars.

(2) Napoleon.org, Site d’histoire de la Fondation Napoléon. Une journée avec Napoléon 1er.

(3) Manufacture de Sèvres. Accéder au site web de la Manufacture de Sèvres

(4) Dion-Tenebaum, Anne. L’orfèvrerie française du XIXe siècle : la collection du musée du Louvre. (2011). Acheter le catalogue (lien affilié)

(5) Balcombe, Betsy (Elizabeth). Recollections of the Emperor Napoleon, During the First Three Years of His Captivity On The Island of St. Helena. (1844). Acheter l’e-book (lien affilié).

(6) Brie, Marielle. Anecdotes et histoires les mieux gardées de l’Empereur Napoléon 1er. Voir son blog sur les objets d’art et d’histoire.