A la question de savoir s’il est une personnalité du passé ou du présent avec qui elle aimerait prendre un thé, la réponse fuse instinctivement : Alexandra David-Neel et Ella Maillart, assurément. Pour Lucie Azema, auteure de L’usage du thé, une histoire sensible du bout du monde, le thé est synonyme d’aventure et de littérature. Rencontre dans un salon de thé japonais à Paris.
TeaVoyages.com : Où étiez-vous pendant l’écriture de L’Usage du thé, une histoire sensible du bout du monde ?
Lucie Azema : Principalement en Turquie, mais j’avais commencé à écrire ce livre en Géorgie qui est aussi un pays de thé, même s’ils ont davantage développé la culture du vin récemment. En mai-juin 2022, j’étais en Iran.
Votre précédent livre portait sur le voyage, celui-ci a trait au thé. Quel lien établissez-vous entre les deux ?
L.A. : Pour moi, le thé a toujours été lié au voyage. Je pense que c’est le cas de toutes les personnes qui aiment cette boisson mais ne viennent pas d’un pays de culture du thé. Dans ma famille, personne n’en buvait. En France, par notre proximité avec l’Italie, nous sommes proches d’une culture du café. Le thé, je l’ai appris par moi-même à travers mes voyages en Asie. Plus tard, j’ai travaillé dans une boutique de thé, puis j’ai pris des cours…
Quelle a été votre première rencontre avec le thé ?
L.A. : L’imaginaire du thé est venu en premier, avec les lectures d’Alexandra David-Neel et le thé tibétain, le pocha. Même si je n’ai pas goûté au thé au beurre de yak immédiatement, cela a été ma première émotion de voyageuse de thé.
Je dois mon premier souvenir marquant de dégustation de thé à un voyage en Thaïlande, à Bangkok. Dans le quartier chinois il y avait une maison de thé traditionnelle. J’ai vraiment apprécié cette façon de boire le thé à la manière du gongfucha. On trouvait là de toutes petites théières sur les étagères, des bateaux à thé… autant d’objets que j’adore et qui prennent souvent de la place sur mon bureau…
Une première dégustation marquante de thé à l’étranger, donc ?
L.A. : J’ai toujours été une grande lectrice de récits de voyages et lorsque l’on débarque au bout du monde dans un lieu comme une maison de thé, il y a une part de fantasme, évidente. Il y a un paradoxe aussi qui tient au fait qu’il s’agit de lieux d’où les femmes ont longtemps été exclues. La maison de thé dans les campagnes, sur la route, dans les caravansérails était un lieu très masculin. Me retrouver au bout du monde dans une maison de thé était donc assez extraordinaire…
Quel thé avez-vous choisi pour cette dégustation ?
L. A. : Je crois me souvenir d’un thé oolong, plutôt quelque chose de taïwanais, opérant ainsi une sorte de syncrétisme.
Pour moi, le thé a toujours été un compagnon très rassurant quand on arrive quelque part. C’est comme un fil d’ariane, une porte d’entrée familière, un compagnon de route, et c’est véritablement ce que j’aime le plus dans le thé.
J’ai aussi été beaucoup marquée par le thé indien, le chai. Quand je suis arrivée en Inde, j’ai adoré boire ce thé avec la peau du lait en surface car cela m’a ramenée à des sensations liées à l’enfance. J’étais donc dans un pays très différent de ma culture d’origine… et boire un thé très différent de mes habitudes, tout en retrouvant une sensation de l’enfance, me paraissait à la fois étrange et universel.
En quoi le thé est-il synonyme d’aventure selon vous ? On a envie de comprendre comment les récits d’Alexandre David-Neel façonnent votre rapport au thé…
L.A. : Le thé est lié à l’aventure, à des histoires d’espionnage. On l’a un peu oublié en Europe car on connaît mal l’histoire de cette boisson. Son image reste très associée à la haute société britannique, au féminin, avec tout ce que cela peut compter de négatif dans une société patriarcale : c’est une boisson d’intérieur qui fait partie du trousseau de la bonne épouse, plus qu’autre chose.
Or le thé est aussi la boisson des aventurières, des aventuriers, ce qui la reconnecte à l’histoire du commerce, à l’histoire en général. Dans leurs récits, prendre le thé fait partie de ces moments particulièrement appréciables où le temps d’une dégustation, on devient sédentaire, on s’arrête, on est en partage avec l’autre. C’est un temps de relâche. Quand on décide de prendre un thé avec quelqu’un, on est obligé de se poser.
C’est très agréable dans la vie quotidienne.
A mon sens, c’est aussi pour cela que beaucoup de personnes qui aiment le thé aiment aussi la lecture. Ce sont deux univers très liés.
Le thé tisse aussi des liens, il permet des rencontres…
L A. : Oui, dans les pays dont je parle la langue, comme en Iran, le thé m’a donné l’occasion de rencontrer des gens que je n’aurais jamais connus par ailleurs. C’est ainsi que je me suis fait une amie. On s’est rencontrées quasiment dans la rue, on a été boire un thé ensemble, on a vraiment accroché, puis nous sommes restées amies, encore aujourd’hui, des années après.
En Iran, le partage du thé est un moment très familier, où on est tous réunis autour du samovar.
Ce qui importe avant tout, c’est d’avoir du thé toujours disponible, en grande quantité ; on est peut-être moins puriste pour ce qui est du goût. La dimension sociale du thé et du samovar compte par-dessus tout.
J’ai pu constater la même chose en Turquie où le thé est très tannique et se boit comme du café. C’est un plaisir différent des thés chinois ou japonais.
En Chine, à Shanghai, je me suis rendue dans un grand mall de thé et me suis sentie comme une extraterrestre. Je suis entrée dans une boutique où j’ai été accueillie par une vendeuse qui m’a fait goûter toutes sortes de thés, j’en étais ivre à la fin.
J’ai beaucoup aimé cette rencontre même si nous n’avions pu échanger que par gestes. Ce qui se partage dans ces moments-là, c’est l’attente du thé, les regards au moment où on approche la tasse des lèvres… Même sans mots échangés, passe quelque chose de simplement humain.
J’ai un très bon souvenir de ce moment-là, je me suis sentie très bien.
Parlez-nous d’un thé récemment découvert qui vous a surpris ?
L.A. : Les thés violets du Kenya. En quoi s’agit-il réellement d’une autre couleur de thé ? Je l’ignore. J’imagine qu’il s’agit d’un thé à mi-chemin entre le thé vert le thé noir…
Est-il une couleur de thé que vous préférez ?
L.A. : C’est par période mais disons que je suis très thé vert. J’aime particulièrement le sencha, le gyokuro, pour ce qui est des thés japonais. Il y aussi le Longjing. J’aime le côté réconfortant du thé vert qui, pour moi, évoque très directement une connexion à la nature. Il y a eu une période où je buvais beaucoup de pu’erh mais j’en prenais trop. Je m’en suis détachée pendant longtemps pour y revenir récemment, petit à petit.
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