Cinq décennies de chadō par un Maître de thé Urasenke
Initié dès l’âge de 6 ans au chadō, Soshitsu Sen, XVe Maître de thé de la lignée Urasenke, signe deux essais en 1979 : Vie du thé, Esprit du thé et Chado, The Japanese Way of Tea from Its Origins in China to Sen Rikyu (non traduit en français). Ces deux recueils rédigés en anglais semblent répondre à sa mission de vie : propager à travers le monde la voie japonaise du thé, après cinq décennies de pratique.
Dans Vie du thé, Esprit du thé (titre original : Tea Life, Tea Mind), il expose en 13 courts chapitres les notions cardinales à garder en tête lors d’une séance de chanoyu.
Dans les pas de Sen Rikyu
Les sept règles fondamentales énoncées par son ancêtre Sen Rikyu (1522 – 1591) tiennent en une réponse à un disciple qui lui demande un jour ce qu’il est « essentiel de comprendre lors d’une cérémonie du thé » :
Fais un délicieux bol de thé,
Dispose le charbon de bois de façon à chauffer l’eau,
Arrange les fleurs comme elles sont dans les champs,
En été, évoque la fraîcheur ; en hiver, la chaleur,
Devance en chaque chose le temps,
Prépare-toi à la pluie,
Aie pour tes invités tous les égards possibles
Le degré d’accomplissement de l’hôte transparaît à travers l’application de ces instructions apparemment simples. Tout en gardant un cœur libre et généreux, savoir exalter le parfum du thé, restituer dans un vase la beauté naturelle de fleurs coupées, témoigner de la prévenance à l’égard des invités révèlent la disposition du cœur de celui qui reçoit dans son pavillon de thé (chashitsu).
Une séance de chanoyu réussie s’efforce de tendre vers trois principes : muhinshu, kokoro-ire, ichi-go ichi-e.
. Muhinshu (無賓主) pourrait se traduire par « transcendance des rôles entre l’hôte et l’invité ». « Quand hôte et invité parviennent à l’harmonie dans une réunion de thé, ils se fondent en une même entité qui transcende leur rôle respectif. »
. Kokoro-ire. L’honnête gratitude de l’hôte qui s’efforce d’établir une atmosphère de sérénité pour les invités, qui devront quant à eux accepter tout ce que fait l’hôte avec simplicité.
. Ichi-go, ichi-e (一期一会, Une fois, une rencontre). « Chaque réunion est l’occasion d’éprouver quelque chose qui ne se reproduira plus dans l’existence. »
A l’intérieur de la salle de thé
Vient le jour de la cérémonie. A son arrivée, l’invité cheminera sur un sentier (roji) qui le mènera à la salle de thé. Après s’être déchaussé, il se courbera pour franchir la petite porte du pavillon. Une fois à l’intérieur, il prendra un moment pour apprécier le parchemin et les fleurs disposés dans l’alcôve (tokonoma) avant de prendre place. L’hôte entrera ensuite à son tour et lui préparera un thé qu’il appréciera en toute simplicité…
L’ensemble de l’expérience doit concourir à une sérénité naturelle et harmonieuse entre les participants. Toutefois, « bien que les gestes et l’ordre dans lequel on les fait soient préétablis, quand ce sont des personnes différentes qui préparent et servent le thé, elles peuvent adapter ces critères à leur personnalité et à leur cœur », précise Sen Soshitsu.
L’instauration d’une relation réussie entre l’hôte et l’invité prime avant la perfection absolue du maniement des ustensiles. Selon l’enseignement de Rikyu, « il semble donc sage de renoncer à un succès parfait. C’est précisément ce renoncement qui peut donner lieu à une expérience réussie ».
La Voie du thé, une pratique spirituelle
S’incliner devant les mots inscrits sur une calligraphie, regarder avec attention les détails du bol dans lequel est servi le thé, y compris lorsque l’on en est l’auteur ou le potier, constitue une marque de respect et de gratitude pour tout ce qui, de près ou de loin, concourt à la séance de thé à laquelle on prend part.
De même, nettoyer les ustensiles, se purifier les mains et l’esprit « nous fait humblement prendre conscience de notre relation avec tout ce qui nous entoure, à l’univers ». En ce sens, le chanoyu s’assimile à une pratique spirituelle.
Pour ardue que semble être la Voie du thé, Sen Soshitsu recommande tout d’abord aux élèves de thé d’appuyer leur discipline sur un esprit pur, clé d’accès à leur être propre et à toutes ses possibilités. Puis, de s’astreindre à une pratique concrète et directe qui implique le corps et non pas seulement l’intellect.
Pour dépasser notre conscience personnelle et nos attachements, retrouver notre centre face aux aléas de la vie, Sen Soshitsu nous invite à considérer l’un des principes du moine Rinzai (Lin Tsi, ? – 866/7). Cela consiste essentiellement à retrouver l’esprit d’enfant avec lequel nous sommes né pour atteindre le vide de l’esprit du zen qui est aussi celui de la Voie du thé.
Fûryû, Wabi, Acceptation de l’insuffisance, Retenue
Parmi les concepts zen qui s’appliquent également à la pratique du thé et au quotidien, Sen Soshitsu incite à cultiver le Fûryû, le Wabi, l’acceptation de l’insuffisance, et la retenue.
. Fûryû (風流, souffle du vent). « Notre esprit doit couler à travers la vie comme le vent coule à travers la nature. Les merveilles de la nature ne nous bouleversent pas, nous les apprécions dans le cours naturel de notre existence. »
. Wabi (侘《び》ou わび). Etat d’esprit proche d’un esprit de « frugalité », « simplicité », « humilité ».
. Insuffisance. « Le but premier du thé est au fond l’acceptation de l’insuffisant ».
. Retenue. « La retenue produit une énergie, une tension qui naît de la concentration de l’expression. »
Enfin, « à ceux qui aspirent à suivre la Voie du thé », Sen Soshitsu partage les méditations de son père sur les devoirs de l’homme.
Notre recommandation évidente : ce recueil se destine aux amateurs de thé japonais.
Vie du thé, Esprit du thé, Soshitsu Sen. Traduit de l’anglais par Sylvie Seiersen. Edition Arlea. 128 pages. Prix version poche : env. 7€. EAN 978-2363080455 | Commander ce livre
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