Film | Black Tea, Abderrahmane Sissako

Film | Black Tea, Abderrahmane Sissako
29/07/2024 MCT
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Black Tea, à la fois doux et trouble

Black Tea démarre en Côte d’Ivoire, dans une salle communale où se pressent des dizaines de couples prêts à se dire « oui » pour la vie. A l’instant ultime, Aya se dérobe, de courage et de dépit. Il ne lui reste plus qu’à quitter le pays pour commencer un nouveau chapitre de sa vie, ailleurs. Ce sera dans le « Little Africa » de Canton, au sud de la Chine, où elle exerce chez un négociant en thé. Douce, éduquée et sensible, Aya cherche à parfaire ses connaissances. Cai, son patron, lui ouvre peu à peu les portes du chadao (茶道), la Voie du thé. Au-dessus du bateau à thé et des gaiwan, des sentiments émergent. En chacun, affleurent les regrets du passé.

Dans ce « Little Africa » métissé et onirique, qui compte en réalité près de 100 000 résidents originaires d’Afrique en 2020, familles locales et travailleurs venus d’ailleurs cohabitent dans une atmosphère tranquille mais surveillée et policée, où chacun s’efforce de rester à sa place et de respecter le voisin.

A l’heure de la pause, Aya et sa collègue Wen discutent de tout et de rien : du policier chargé de surveiller le quartier dans lequel il a grandi, du salon de coiffure et des clients que l’on n’a plus revus depuis quelques temps… Ces confidences révèlent des trajectoires de vie inavouables qui laissent deviner à quel point tout laisser derrière soi marque à vie ceux qu’on ne voudrait jamais quitter. La nostalgie du village natal n’est jamais loin. Les divagations existentielles d’une nuit de cuite disent tout simplement à quel point une fois bourrés, les masques ôtés, nous avons tellement en commun.

L’exil et le déplacement, thèmes chers au cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako doublement césarisé (Bamako, 2006, Timbuktu, 2014), sont esquissés en filigrane. Les déchirements, la douleur des non-dits servent de toile de fond aux sentiments qui émergent entre Aya et Cai.

Cette histoire d’amour contrariée donne lieu à de très belles séquences de gongfucha et de nature. Les vallons tout en sillons des champs de thé laisseraient volontiers croire en un espace où seule règnerait la loi des fragrances et leur délicatesse.

De part et d’autre de la table de thé, contempler les ustensiles, humer les feuilles de thé, les faire infuser, avant d’en apprécier les saveurs nous rend témoin de cet instant où l’un s’accorde à l’autre dans la danse de la préparation, dans la respiration d’une saveur partagée en toute quiétude.

La romance et l’utopie qui chassent à jamais les différences et les soupirs du passé, les dégustations de thé sensuelles et intemporelles magnifiées par la photographie d’Aymerick Pilarski, offrent aux tea lovers de beaux moments d’évasion.

 

Black Tea de Abderrahmane Sissako, avec Nina Mélo, Chang Han, Wu Ke-xi. 1h51. DVD Gaumont, 2024, 19,90€