Ippodo dans le quartier de Marunouchi
Ma première escale de thé a lieu au lendemain de mon arrivée à Tokyo, un après-midi de fine bruine dans le chic quartier de Marunouchi. Les jeunes femmes font virevolter leur élégance avec discrétion. Maquillage pastel sur des visages lissés à la BB Cream, motifs classiques sur des tons légèrement acidulés, chaussures sages et classiques, accessoires mignons et colorés : cette allure maîtrisée signe leur sophistication. Le salon de thé et boutique Ippo-do présente une vitrine discrète entre les boutiques de luxe et les entrées de buildings Art Deco.
Le lieu
Un large éventail calligraphié orne l’entrée d’Ippodo. A l’intérieur, la pénombre du décor boisé contraste avec les reflets des vitrines que l’on vient de quitter. Le long du mur, se détachent quelques ustensiles sobrement éclairés qui s’annoncent comme un chemin d’initiation mais ne tracent qu’un couloir vers la cuisine… On revient sur ses pas. Le regard embrasse alors le comptoir de vente en léger surplomb sur les thés de la saison. On traverse les panneaux qui séparent cet espace de passage du salon de thé. Cet après-midi, les quelques tables en enfilade baignent sous une clarté faible et grise. Sur les dix-huit à vingt couverts disponibles, on peut choisir entre l’observation des passants de la rue ou bien l’intimité d’une douce lueur qui descend du plafond en préférant l’une des places situées tout à fait au fond de la pièce. Le service est affable et d’une bienveillance toute en délicatesse. Une lecture attentive de la carte, un coup d’œil sur les tables voisines nous encouragent à l’expérience la plus extrême de la journée, en défi à ce ciel maussade : un matcha servi en koicha puis en usucha, suivi d’un bancha.
Koicha
Le matcha mochi découpé en trois bouchées cale bien mais éveille la soif. Après une quinzaine de minutes, un plateau. Un bol. L’intérieur, du fond au milieu, est recouvert d’une pâte à la texture épaisse, d’un vert sombre et luisant. C’est ce concentré de thé vert qui est à déguster. Des deux mains, le bol est porté à la verticale et on goûte alors ce koicha, que l’on aide à pousser vers ses lèvres en trichant avec la minuscule cuiller du mochi. La fragrance nous transporte. La tiède et intense amertume de verdure nous saisit, nous soulève, renversante. L’esprit devient confus, c’est instantané. Un vrai shoot. Dehors, le ciel bleu reste fuyant, la bruine reprend, même. On plane une dizaine de minutes. Le temps s’est figé.
Usucha
Entre temps, le bol, reposé sur le plateau, est emmené pour la préparation de l’usucha, que l’on nomme communément matcha japonais dans les salons de thé en France. Il revient. On se sent en terrain connu. La fragrance et le vert de la mousse qui tire vers le fluorescent promettent une saveur de caractère. Or les papilles accueillent une mousse onctueuse pleine de douceur. Tout de même, après le koicha, l’usucha desserre à peine son emprise sur les sens… Cette surprise restera intacte à chacune de mes dégustations suivantes de matcha. On reste en suspens. Le bol repart. Mes lèvres sont saupoudrées de vert mais je ne m’en rendrai compte qu’une fois sur le point de partir, face au miroir de la salle d’eau, après avoir à moitié titubé, l’équilibre troublé, vers le couloir découvert en entrant dans la boutique.
Bancha
On me sert un bancha, un thé vert infusé dont la robe orangée me rassure tout à fait. Ca, je connais. Je comprends qu’il essaie de délicatement me ramener sur la terre ferme. J’ai l’air normal mais en réalité, mes sens sont sens dessus dessous. Je prends mon temps pour finir mon bancha. J’observe distraitement ce que mes voisins de gauche et de droite ont pris. Nul ne s’est aventuré vers le koicha, qui teinte la suite de mon après-midi d’un délicieux étourdissement. J’achète quelques thés et sors. Peu à peu, la bruine rafraîchit l’esprit.
Infos Pratiques
Kokusai Bldg. 1F 3-1-1 Marunouchi Chiyoda Ward, Tokyo 100-0005. Tel: +81-3-6212-0202 / Fax: +81-3-6212-0203 Horaires. Boutique et Salon de thé : 11h à 19h. En savoir plus sur le site d’Ippodo