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Combien d’entre nous ont caressé l’idée de s’initier à la cérémonie japonaise du thé après s’être laissé transporter au cœur du Pavillon de thé de Richard Collasse ? Pour les amateurs de thé et de Japon, ce roman fait œuvre de récit initiatique.
Première intuition en refermant les dernières pages : l’expérience personnelle de l’auteur dépasse largement cette fiction et mériterait d’être partagée. Second pressentiment : le Dictionnaire amoureux du Japon qu’il publie chez Plon, en librairie cette fin d’année, évoquera immanquablement le chanoyu, appuyé de sa longue et régulière pratique.
Nul doute que les écrits et intrigues de Richard Collasse, qui retracent lieux et atmosphères, sentiments et désirs des hommes, des femmes, avec un délié précis et délicat, puisent en partie dans son propre vécu.
Une enfance au Maroc, suivie d’un premier voyage tout jeune homme au Japon, avant d’y devenir homme d’affaires pour le luxe français depuis la fin des années 1970… Des expériences de thé égrènent ces voyages d’un continent à l’autre au gré de translations en toute fluidité, dans l’appel constant du romanesque.
TeaVoyages.com. A quand remonte votre première cérémonie de thé ?
Richard Collasse : J’ai assisté à de nombreuses de cérémonies de thé suite à mon arrivée au Japon [ndlr : en 1972]. L’année prochaine marquera les 50 ans de ma première visite dans ce pays. J’avais 17 – 18 ans lorsque j’ai assisté à ma toute première cérémonie du thé.
Comment s’est passé votre premier voyage au Japon ?
Mon père, commandant de bord à Air France, demande à l’un de ses collègues de s’occuper de moi. Alors que j’ai un simple billet éco, je me retrouve dans la 1ère classe d’un Boeing 747 avec bar à l’étage, dont on inaugure alors les vols.
J’ai la chance de rencontrer une hôtesse de l’air japonaise, un peu étonnée de voir un tout jeune homme partir au Japon à cette époque-là, et qui plus est, voyage en 1ère classe.
Sa surprise est compréhensible…
Intriguée, elle me demande ce que je prévois de faire au Japon.
« – Acheter un appareil photo, lui répondis-je.
– Où allez-vous loger ?, me demande t-elle.
– Une famille d’accueil japonaise m’attend à Tokyo. Après, je ne sais pas. Je voudrais visiter Kyoto, Nara, Hiroshima.
– Et si vous alliez voir mes parents, ils habitent à Kobe ?
– Pourquoi pas »
… et je lui laisse mes coordonnées. Peu après mon arrivée, elle m’appelle chez ma famille d’accueil à Tokyo.
Il s’agissait d’une famille catholique. La maman, fille d’un ancien ambassadeur du Japon en Grande-Bretagne, parlait un anglais impeccable. L’un de ses fils parlait le français couramment pour l’avoir appris à l’Ecole de l’Etoile du Matin, une école française de prêtres. Je ne parlais alors pas un mot de japonais.
Ils traduisent pour moi, et me disent que les parents de cette hôtesse m’attendent à Kobe. J’ai simplement une adresse et un numéro de téléphone.
En savoir plus sur « La Trace », le roman inspiré de ce premier voyage au Japon
De nos jours. Président d’une prestigieuse maison de luxe implantée au Japon, le narrateur, un Français d’une cinquantaine d’années, mène une vie en apparence sans histoires. Marié à une femme qu’il aime, il se passionne aussi pour la photographie. Un matin, sa secrétaire lui remet une lettre anonyme, écrite en japonais.
Commence alors un travail de mémoire qui conduit notre homme à interroger son propre passé : son enfance en Afrique du Nord, sa découverte du Japon, dans les années 70, son ascension sociale et professionnelle dans un pays qui le fascine.
Il y a aussi les zones d’ombre, entre remords et souvenirs refoulés, d’où refait surface un amour de jeunesse, une Japonaise que le narrateur a rencontrée lors de son premier voyage.
Et si l’énigmatique auteur des lettres, c’était elle ?
Comment vous êtes-vous rendu à Kobe ?
A l’époque, je n’ai pas beaucoup d’argent et ne peux pas me permettre de prendre le Shinkansen. Je prends un bus de nuit et arrive à 6h du matin à Kobe. Je trouve l’adresse et longe un mur pendant deux bonnes minutes en pensant que je m’étais perdu.
J’arrive devant un immense portail. Je sonne. Une dame en kimono m’ouvre. Je suis bien chez Wayakabashi-san ?, demandais-je. On me confirme que je suis bel et bien attendu.
J’étais en fait reçu par l’une des familles les plus aisées de Kobe. J’ai tenté de dessiner le plan de leur maison, tout à fait incroyable, parsemée de petits ponts, de multiples pavillons, parmi lesquels un pavillon de thé.
Qu’est-ce qui vous a marqué durant ce séjour ?
Tous les matins, le père, M. Wayakabashi, se levait à 5h du matin, se mettait en kimono, et arrangeait tous les ikebana (art de la composition florale) de la maison, qui comptait de nombreux tokonoma (alcôve au plancher surélevé). Il s’en occupait par rotation.
Un jour, il me propose de me joindre à une cérémonie du thé qui sera organisée avec des amis. J’accepte sans savoir du tout de quoi il s’agit. Je pensais que cela ressemblerait au tea time britannique. J’ai ainsi assisté à ma première cérémonie du thé japonaise, extrêmement formelle, durant mon séjour chez cette famille très traditionnelle.
Quelle impression cela a laissé au jeune homme que vous étiez ?
J’étais subjugué par la beauté et la fluidité du geste. Dans mon roman Le Pavillon de thé, je compare cela à une calligraphie dans l’air. C’est véritablement ma toute première impression. Je n’ai aucune idée des codes, mais je sens qu’il y a quelque chose d’extrêmement codifié, d’une beauté et d’un esthétisme époustouflants.
Toutes ces dames étaient en kimono. Cela m’a paru sérieux et compassé, aussi. J’étais assis sur les genoux, on m’avait fait signe que je pouvais me placer en tailleur.
C’était un cadre d’une incroyable beauté. Le pavillon de thé était sur pilotis, au-dessus d’une petite mare de carpes. C’est mon premier souvenir de cérémonie de thé.
Ce séjour à Kobe était une chance exceptionnelle après celui dans ma famille d’accueil à Tokyo, une famille très sophistiquée. Le papa était directeur de la Banque de Tokyo. Les enfants allaient tous dans des écoles catholiques tenues par des sœurs et des prêtres français. Le français faisait partie de l’enseignement.
En savoir plus sur « Le Pavillon de thé »
1986. Une nuit d’hiver, à la veille du nouvel an, au cœur d’un vieux quartier perdu de Tokyo, dans le pavillon qu’il a fait construire au fond du jardin de sa maison, un homme pratique en solitaire la cérémonie ancestrale de la Voie du Thé.
C’est un Français. Il vit au Japon depuis plus de vingt ans. Jeune diplomate nommé à l’ambassade de France, il a quitté son poste pour un métier plus lucratif, mais qui l’ennuie. Sa vie tourne désormais uniquement autour de la Cérémonie du Thé, qu’il a étudiée avec les plus grands maîtres.
Il a aussi entretenu, dans les années soixante, une liaison clandestine avec une Japonaise, descendante d’une lignée prestigieuse de samouraïs, ce qui, dans la tradition nippone, la rend totalement inapprochable. Et quand la jeune femme s’est volatilisée, nul n’a songé à interroger ce Français, ni à sonder ses secrets… jusqu’à présent.
Est-ce cette première expérience qui vous a donné envie d’explorer la voie du thé à la japonaise ?
Non, franchement non. J’ai trouvé cela séduisant mais au même titre que tout ce que j’ai pu voir au Japon tout au long de ce voyage : le mont Fuji, le kendo, ce monsieur se levant tous les matins à 5h pour s’occuper de ses ikebana, absolument tout.
En revanche, c’est devenu important pour moi après ma rencontre avec ma femme car sa grand-mère était Maître de cérémonie du thé. Mon épouse a appris le chanoyu dès 5 ans, par osmose, par imprégnation, en étant constamment aux côtés de sa grand-mère. Elle l’aidait à préparer les séances pour ses élèves.
C’est à ce moment-là que je m’y suis vraiment intéressé, même si j’avais assisté à de très nombreuses séances avant.
Le souvenir d’une première expérience compassée, sérieuse, ne vous a pas rebuté ?
Ma première image était que c’était très codifié et compassé : on reste silencieux, on remercie et ne parle que lorsque le cérémoniant vous adresse la parole, etc.
Mais j’ai assisté à une cérémonie chez l’une de nos amies très versée dans les arts du thé, et j’ai découvert que cela pouvait aussi être très convivial. La séance a été menée avec toute la précision attendue, dans le style Omotesenke, même si les différences ne m’ont pas sauté aux yeux de prime abord.
Notre amie parlait librement, plaisantait, avait dans son pavillon des objets très modernes, des sculptures, et je me suis aperçu que cela pouvait également ne pas être si compassé que cela.
Les jeunes filles d’aujourd’hui apprennent la cérémonie du thé sur un tatami devant un Maître, puis au fil du temps, elles ne le pratiquent plus par manque de place… alors que c’est un grand moment de convivialité, et qu’on devrait trouver un moyen de le faire sur un coin de table.
Les manières de pratiquer le chanoyu sont donc multiples…
Absolument. J’ai également eu la chance d’assister à une cérémonie de thé organisée par le grand maître Sen Soshitsu XV, à Kamakura dans l’enceinte du Grand Bouddha.
Il était déjà très âgé, autour de 87 – 88 ans, et ne pouvait plus s’agenouiller. Il était assis devant une table de cérémonie du thé et c’était tout aussi beau que sur tatami.
Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
J’ai donc compris que la cérémonie du thé pouvait effectivement se pratiquer de différentes façons et me suis pris d’intérêt pour cela… au point que j’ai fait l’acquisition d’une maison derrière ce Grand Bouddha. Je décide alors de construire un pavillon de thé en me procurant des matériaux anciens.
Je dis ensuite à ma femme qu’il faut organiser un kamai-ire (de 構える), la séance inaugurale du pavillon de thé. Elle me retient dans mon élan : nous ne disposons pas de tous les ustensiles, de belles céramiques, il faut préparer cela longtemps à l’avance… Je décide alors de le faire moi-même et d’apprendre la cérémonie du thé avec une nièce de Sen Soshitsu XV de l’école Urasenke.
Pendant plus d’un an, je m’y suis consacré tous les lundis soir de 18h à 22h, malgré un emploi du temps chargé en tant que Président de Chanel au Japon. Le lundi à 18h, je saluais ma secrétaire en lui indiquant qu’on ne me reverrait que le lendemain.
Dans Le Pavillon de thé, vous soulignez que « la fluidité est la clé du mystère », « qu’il faut apprendre avec le cœur, pas de manière académique, réaliser les gestes en ayant le cœur pur ». Comment tenter d’y parvenir ?
Avant toute chose, je dois préciser que par nature, je suis toujours en mouvement. Or lorsque j’ai démarré ces séances, seul étranger au milieu d’innombrables jeunes femmes, je suis resté, chose étonnante, totalement serein. Je me suis découvert une patience extraordinaire à regarder toutes ces jeunes femmes exécuter les gestes de la cérémonie du thé, tour à tour, devant Maître Sakurai.
Assise devant le tokonoma, elle ne disait pas grand-chose si ce n’est quelques ‘tsss tsss’ pour faire rectifier une posture, un mouvement.
Je me suis rendu compte qu’un état de sérénité était nécessaire à la conduite de la cérémonie du thé, et que cet état de sérénité venait assez naturellement. Même chez quelqu’un comme moi. C’était ma première surprise.
Evidemment, la première fois, et même au cours de la cinquantaine de premières fois, on est toujours d’une maladresse absolue.
Comment se passe l’apprentissage ?
L’apprentissage se fait par osmose avec les autres apprenants et non pas tant à travers un savoir délivré par un professeur ou dans un manuel. La pratique se fait au sein d’un groupe qui rassemble aussi bien des débutants que les plus expérimentés. Chacun passe à tour de rôle et l’on apprend en regardant son aîné, son senpai (élève ancien). Au fond, le Maître de thé réalise peu la cérémonie du thé, hormis lors des grandes occasions, comme le jour de l’An, la première bouilloire de l’année.
Au fil de votre pratique, comment avez-vous ressenti que vous progressiez ?
Cette maîtrise s’acquiert petit à petit en se rendant compte soi-même de ses propres erreurs ou oublis, à l’image d’une grammaire que l’on s’approprie. Au fur et à mesure, on construit des phrases de moins en moins bancales, de plus en plus ordonnées. Cela vient assez naturellement. C’est très progressif, très lent. Puis, à un moment donné, on se rend compte que l’on a accompli et appris la gestuelle de chacune des phases, sans faire d’erreurs. C’est un peu comme faire des gammes.
D’après votre expérience, combien de temps est nécessaire pour acquérir une bonne maîtrise, voire devenir Maître de cérémonie du thé ?
L’un de mes grands regrets est ne pas m’être initié à la cérémonie du thé suffisamment tôt pour pouvoir devenir un jour Maître de cérémonie du thé. J’aurais dû m’y mettre dès mon arrivée au Japon. C’est très subtil. Le passage d’un niveau à l’autre est décidé par le professeur, de même que l’attribution du titre de Maître de cérémonie du thé. L’un de mes amis français vivant à New-York a pratiqué pendant 18 ans avant d’être ordonné Maître de thé Urasenke.
C’est un apprentissage très long car outre l’exécution du déroulement de la cérémonie du thé, cela inclut aussi la connaissance fine et précise de tous les ustensiles, leur histoire, provenance, technique employée par le maître. C’est très vaste car cela recoupe de nombreux autres arts : l’art floral, l’encens, etc., un puits sans fond.
Est-il un ustensile que vous affectionnez particulièrement ?
Le chashaku (spatule à matcha) que je trouve tellement beau, j’en ai fabriqué un moi-même. Il en existe de très chers fabriqués par des grands maîtres, à des prix inabordables.
Mais au fond, cet objet est très émouvant : un petit bout de bambou, patiné, recourbé à la flamme, taillé, doté d’un nodule qui permet de le tenir. Je l’aime beaucoup pour sa modestie, qui en fait précisément le raffinement.
Des natsume (boîte à thé matcha), il y en a une infinité. Tous les objets sont sublimes. Naturellement, si je place une spatule là, ici, toute seule, elle semble tout à fait insignifiante.
Mais posée avec le reste autour, elle devient un objet central, de même que chacun d’entre eux, au moment précis où il remplit son rôle au cours d’une cérémonie, retrouve toute sa noblesse. C’est à travers l’usage de chaque objet qu’on lui témoigne du respect.
Lorsque l’on vous questionne sur l’artisanat, vous soulignez régulièrement le fait que l’âme de l’artisan se ressent à travers l’objet fini. Nous avons parlé du chashaku. Qu’est-ce qui vous évoquerait quelque chose de similaire dans l’artisanat français ?
Il est à mon sens trois pays qui peuvent véritablement s’enorgueillir de l’art de la perfection : le Japon, la France et l’Italie. Ces trois pays partagent une même passion du façonnage de l’objet où l’artiste met son coeur et son âme dans sa réalisation.
Une porcelaine de Limoges peinte à la main est à mes yeux aussi belle que des bols de thé japonais. Le Japon met à l’honneur ses Trésors Vivants, de même qu’ici, nous reconnaissons les Meilleurs Ouvriers de France et avant eux, les Compagnons.
Il y a un énorme respect pour ceux qui savent faire quelque chose de particulier, qui possèdent un art. L’autre aspect important a trait à la passation du savoir.
Au Japon, cela passe par l’observation du Maître pendant de longues années. De même qu’en France ou en Italie avec les violons Stradivarius, on apprend en regardant son Maître – artisan travailler et en partageant également un respect infini pour l’objet.
Vous avez grandi au Maroc, autre pays de thé. Quelle est votre expérience de thé la plus marquante ?
Oui ! Au Maroc, la cérémonie du thé, on appelle cela la tei. Mon père aimait beaucoup partir dans le grand sud marocain et nous nous y rendions souvent.
Nous étions reçus par le Cheikh du village, le maire du village, chez qui nous séjournions. Je me souviens de casbah très très loin dans le sud marocain, avec un jet d’eau en son centre, au cœur de la grande cour centrale pour les plus luxueuses d’entre elles. La lune au-dessus de nos têtes rendait cela extraordinaire et magique. Les femmes occupaient l’étage, les hommes le rez-de-chaussée.
Le thé à la menthe était préparé par les hommes dans ces grandes théières dans lesquelles ils versaient l’eau sur les feuilles de menthe plusieurs fois.
A l’aide d’un marteau, le pain de sucre était cassé en rochers de sucre que l’on ajoutait dans la théière.
Le thé était versé de très haut pour que le parfum se diffuse bien, dans de très beaux verres décorés, posés sur des tableaux d’argent.
Je me souviens d’un vieillard, très beau, en turban, barbe blanche et djellabah. Encore gamin, j’étais aux côtés des hommes assis autour du Cheikh. Ses édiles étaient également invités ainsi que les personnalités importantes du village pour l’accueil des hôtes. Cette cérémonie du thé, après un dîner magique, m’avait beaucoup marqué.
Je crois qu’il y a autour du thé un énorme respect pour le produit, comme c’est le cas en Chine, au Japon, au Maroc, en Angleterre où l’on culotte la théière mais on ne la rince pas.
Peut-on éventuellement établir des ressemblances entre le thé au Maroc et le thé au Japon ?
La préparation du thé n’est pas la même, mais on y retrouve le principe d’un rituel, au même titre que le gongfucha que j’ai expérimenté dans des salons de thé à Taïwan.
Au-delà du thé, il est effectivement des pratiques qui se ressemblent. Toute mon enfance a été très marquée par le Maroc. Mes parents étaient extrêmement respectueux des traditions marocaines. Nous vivions essentiellement parmi les locaux. Ma mère a appris la cuisine de Fez avec une amie marocaine. A Pâques, à Noël, notre père nous emmenait dans le grand sud, à l’aventure.
Du Maroc, je passe au Japon… et je réalise qu’il est des pratiques tout à fait similaires, tels ces vendeurs de rue, ces chiffonniers de passage dans les quartiers, psalmodiant ‘viozabi’ (‘vieux habits’) accompagnés d’un son de trompette. Au Maroc, ils échangeaient les vieux vêtements que l’on leur remettait contre un rouleau de papier hygiénique.
Quelle ne fut pas mon agréable surprise en arrivant au Japon, dans ma modeste piaule, lorsqu’un même son de petite trompette attire mon attention vers la fenêtre, de constater qu’un chiffonnier échangeait toutes sortes de vieux vêtements et objets contre du papier hygiénique aussi ! J’ai alors pensé ‘ah mais je suis au Maroc ! Je suis chez moi’.
Je découvre plus tard l’existence des yatai (屋台), des gargotes de rue, de la même manière qu’il en existait à Casablanca, place de France, où l’on mangeait des brochettes de sauterelles alors qu’au Japon, c’était des brochettes de tsukudani (佃煮, petits poissons, algues, fruits de mer, insectes de montagne). C’était assez étonnant de retrouver au Japon des façons de vivre similaires.
Quelles sont vos habitudes de thé quand vous êtes en déplacement ?
Je ne suis pas assez pris par le chanoyu pour m’équiper de manière à faire des cérémonies hors de chez moi. Même si je possède l’un de ces sets de cérémonie de thé portables, je ne suis jamais parti en vacances avec.
Mon principe est simple : quand je suis hors du Japon, je ne mange pas japonais car je n’y retrouve jamais la même saveur ni l’ambiance qu’à Tokyo. Je dissocie beaucoup les cultures et les expériences des pays dans lesquels j’ai vécu, surtout quand il s’agit de ce qui est servi dans nos assiettes et dans nos verres.
Est-il un thé que vous aimez particulièrement ?
Il y en a énormément mais j’aime beaucoup le pu’er et les thés chinois, et pas forcément les plus âgés.
Dans le Dictionnaire amoureux du Japon (Plon) qui va paraître en fin d’année, que peut-on y apprendre sur le thé ?
Mon billet d’humeur sur le sujet vise à alerter les lecteurs : l’expérience de la cérémonie du thé ne peut consister à rassembler autour d’une Maître de thé une cinquantaine de touristes étrangers assis sur des bancs qui se contentent de regarder. Cela donne une idée si fausse de ce qu’est le chanoyu que ce devrait être interdit ! (rires).
J’évoque longuement les détails de la cérémonie du thé, mes expériences, les Maîtres que j’ai connus. L’entrée est assez longue car c’est l’essence de tous les arts japonais, à travers lequel on peut aborder l’architecture, les jardins, ikebana, kakejiku (rouleau ou peinture suspendu)… Un tel exercice d’écriture oblige à prendre de la distance.
En savoir plus sur le « Dictionnaire amoureux du Japon »
Il suffit de prononcer le mot Japon pour qu’aussitôt un déferlement d’images et de mots s’impose à nous : kimono, samouraï, geisha, esprit zen, karaoké, manga, sushi, Kenzo, Murakami … tous font partie de notre univers et appartiennent à notre quotidien.
Richard Collasse nous plonge dans l’intimité du pays du soleil levant qui satisfera aussi bien les japonophiles que ceux qui ignorent tout de la culture japonaise. L’auteur fournit des clés essentielles pour comprendre les paradoxes qui structurent cette culture hyper moderne dans laquelle les traditions et le rituel occupent une place prépondérante créant ainsi un équilibre subtil donc nous pourrions apprendre tant.
Un texte kaléidoscopique qui nous fait prendre la mesure toute la richesse de la culture japonaise, de sa géographie et son histoire, à sa littérature et son cinéma en passant par la pureté de son design et les prouesses de ses architectes qui ne manquent pas de nous séduire.
Richard Collasse nous invite à chasser nos idées reçues, à dépoussiérer notre mémoire et à tenter de décoder les énigmes de ce pays fascinant. L’auteur partage son point de vue, celui d’un européen qui s’est complétement fondu dans la culture japonaise pour y vivre depuis près de 50 ans en immersion totale, au point d’en parler parfaitement la langue, d’y mener toute sa carrière et d’y avoir fondé une famille.
Au-delà du thé, quels autres thèmes abordez-vous ?
Le dictionnaire compte environ 250 entrées : la multitude des sujets oblige à opérer des choix, ce qui me pousse parfois à m’interroger « Qui suis-je au fond pour parler du Japon ? ».
Je songe souvent à cette phrase de Rudyard Kipling : « ce pays est tellement délicat qu’il ne faut pas l’abîmer de sa plume ».
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Le Dictionnaire amoureux du Japon (Plon)
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Richard Collasse est né en 1953 dans l’Aude (11). Son œuvre de romancier depuis 2006 situe ses intrigues au Japon où il s’installe à la fin des années 1970, en tant que représentant de marques de luxe français, puis dirigeant au sein de la maison Chanel. Ses romans sont publiés en français (aux éditions Seuil) et en japonais.
Crédits photos : ©DR, ®Lucille Reyboz, Iromegane, © IMA | Philippe Maillard
Interview réalisée le 9 juillet 2021 par Marie-Claire Thao
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