Prof. Masashi Omori : le thé GABA et les innovations du thé japonais

Prof. Masashi Omori : le thé GABA et les innovations du thé japonais
01/01/2019 MCT
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Dans les années 1980, le Professeur Masashi OMORI et son équipe inventent le thé Gaba (GABAron en japonais), réputé au Japon pour ses effets bénéfiques sur l’hypertension artérielle.

Actuellement Président du département du Thé à l’Otsuma Women’s University de Tokyo, le Professeur Omori explore depuis près de 40 ans les innombrables applications du thé japonais à des domaines divers, de la gastronomie à la mode.

A l’occasion de Japonismes 2018, il revient sur l’invention du thé Gaba et évoque les innovations technologiques qu’il entrevoit pour l’avenir.

Au milieu des années 1980, vous avez pris part à la création du thé Gaba, qui agit favorablement sur l’hypertension artérielle. Comment est né ce thé ?

La motivation initiale était économique. Il s’agissait d’aider les agriculteurs à trouver un débouché pour les feuilles de thé qui servent à fabriquer le Bancha. La première récolte de thé démarre le 2 mai, soit la 88ème nuit à partir du Nouvel an. Le thé recueilli durant cette semaine-là est le thé n°1. En juin, nous avons le thé n°2, et en juillet, le thé n°3. En août, commence la récolte du thé d’automne. Les feuilles de février, mars et avril servent à fabriquer le bancha, un thé de qualité moindre. Au fil des mois, la qualité des feuilles décline, ainsi que le cours des prix.

Pour schématiser, on pourrait dire que la récolte du thé n°1 démarre la semaine du 2 mai, et s’étend aux 7 à 10 jours qui suivent. Elle se poursuit tout au long du mois de mai selon les capacités disponibles. Plus on avance dans la saison, plus les feuilles perdent de leur souplesse. Autour du 10 mai, elles durcissent et sont considérées comme juste bonnes à la fabrication de bancha, moins intéressant d’un point de vue financier pour les cultivateurs.

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Qu’est-ce que cela implique ?

Effectivement, à partir de là, quelles sont les options possibles ? On pourrait envisager une récolte complète des champs de thé le 2 mai et conserver les feuilles au frais mais cela nécessiterait de telles capacités que c’est tout simplement impossible. Nous nous sommes alors intéressés au cas des autres légumes, notamment ceux qui tout au long d’un trajet comme de Hokkaido à Tokyo sont conservés sous azote.

Nous avons pensé à appliquer ce même principe au thé récolté à partir du 6 mai, en laissant les feuilles dans de l’azote pendant 5 heures avant d’entamer la fabrication du thé selon les procédés habituels. Je vous laisse imaginer l’odeur nauséabonde qui s’en dégage, pas loin d’une serviette sale que l’on a gardé enfermée dans un sac plastique pendant 5 heures ! Mais on a amélioré ce point-là pour le thé final.

En l’espace de 5h, le cycle de fabrication des premières feuilles s’achève, ce qui libère les ateliers pour traiter ces feuilles sous azote.

En les analysant, nous nous sommes rendus compte que leur teneur en GABA (Gamma-Amino Butyric en anglais, acide γ-aminobutyrique en français) était 10 fois supérieure à celle présente dans les thés traités normalement. C’était le point de départ de notre recherche.

Nous nous sommes intéressés aux expérimentations du Professeur Stanton (USA) sur les bienfaits du GABA sur l’hypertension. Nous avons poursuivi dans la même veine avec des résultats satisfaisants sur les rats spontanément hypertendus (en anglais, SHR pour Spontaneously Hypertensive Rats). Une entreprise a ensuite développé la fabrication du thé Gaba, sa commercialisation et sa distribution.

Les langue et nez électroniques comptent parmi les innovations significatives dans le domaine culinaire. Pourriez-vous nous rappeler le contexte qui entoure ces recherches ?

Contrairement à la perception visuelle ou auditive que l’on est capable de mesurer en lux ou en décibels, le goût et l’odorat sont des expériences hautement subjectives. L’appréciation varie selon le contexte : la température ambiante, notre propre état physiologique… Il suffit d’un rhume pour affecter notre perception.

Il y a une dizaine d’années de cela, le professeur Kiyoshi Toko de l’université de Kyushu a mis au point une sorte de membrane recouvrant des capteurs similaires à ceux de la langue, capables de reconnaître le salé, le sucré, l’amertume, l’acidité et l’umami.

Forte de ces recherches, l’entreprise Intelligent Sensor Technology Inc. a conçu une langue électronique.

Lors d’une conférence, le professeur Toko a indiqué n’avoir testé sa machine que sur des bières japonaises : Asahi, Sapporo, Kirin, Suntory, aux saveurs soi-disant bien distinctes. Cependant, dans un blind test, il n’est pas si évident de déceler ces différences. Or avec la langue électronique, il devient possible de les distinguer avec précision.

J’ai pensé qu’il serait intéressant de tester cette langue électronique avec du thé.

On dit que l’eau d’Evian fait ressortir l’umami du sencha. Une telle machine nous permet de mesurer les résultats avec du gyokuro, du bancha, du hojicha et du thé noir.

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En dehors des milieux scientifiques, qui d’autres utilise ces détecteurs ?

Ces machines sont extrêmement coûteuses. Elles intéressent particulièrement les entreprises agroalimentaires car cela les aide à maintenir constante la qualité de leurs produits.

Pour ce qui concerne le mariage des saveurs, ces détecteurs contribuent à mieux mesurer et comparer les expérimentations, plus qu’à imaginer de nouvelles combinaisons.

Mes étudiants que j’ai forcés à manger un tonkatsu et riz arrosé de thé noir au lieu de thé vert ont été agréablement surpris malgré leur réticence initiale. Mais l’on pourrait poursuivre l’expérience et remplacer le sencha par du bancha, hojicha, thé noir… Cette machine permet d’annoter et de tester de nouvelles combinaisons de saveurs avec une plus grande objectivité.

Comment la filière du thé au Japon est-elle affectée par les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle ? Vous qui avez participé et observé des avancées notables dans la recherche sur le thé, quel est votre regard sur la foodtech ?

L’intelligence artificielle trouve ses applications dans la phase de croissance des feuilles de thé. Le climat peut être changeant en avril, juste avant la récolte de mai. Or, les bourgeons commencent à pousser en avril. Une amplitude de température trop prononcée peut les geler et les abîmer, juste avant la première récolte. Les ventilateurs qui parsèment les champs de thé servent à éviter tout risque de condensation. Des thermomètres et détecteurs d’humidité fonctionnant grâce à l’intelligence artificielle permettent de déclencher ces ventilateurs à bon escient.

Un autre domaine concerne la cueillette du thé qui est extrêmement mécanisée au Japon. Les machines grâce auxquelles les feuilles sont recueillies fonctionnent de plus en plus avec l’intelligence artificielle. De nombreuses étapes de la fabrication du thé s’appuient sur l’IA ce qui soulage le travail des agriculteurs.

Et en matière de goût ?

Les apports de l’IA restent limités en matière gustative. Une machine peut nous aider à compiler nos expériences mais cela s’arrête là, même si les possibilités sont infinies.

Décider qu’un mariage de saveurs est réussi ou non reste in fine une expérience éminemment humaine.

Avec le recul que vous avez aujourd’hui, quelles sont selon vous les innovations les plus significatives ?

Très personnellement, je dirais le thé Gaba. Nous procédons à des essais de thé Gaba avec du thé noir, qui représente 80% des 6 millions de tonnes de thé produites par an. Nous avons mené nos tests au Kenya et les poursuivrons à Taiwan et au Sri Lanka cette année.

A quel mets suggérez-vous d’associer le thé Gaba ?

Tout va bien avec le thé Gaba mais son amertume et son côté rafraîchissant s’accordent particulièrement bien avec un plat de friture ou à base de crème.

Que représente le thé pour vous ?

Après l’effort physique, l’eau est notre premier réflexe et étanche notre soif. Ce que le thé apaise et rafraîchit, c’est avant tout la soif du cœur.

 

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Les recherches du Professeur Masashi Omori sur le thé japonais > Research Gate

Japonismes 2018 > La culture culinaire japonaise

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Propos recueillis à Paris le 17 décembre 2018. Merci à Shinobu Morohashi pour sa traduction du japonais.